Pernice Brothers: « Spread The Feeling »

11 décembre 2019

A l’image de ses amis écossais de Teenage Fanclub, eux aussi amoureux du travail bien fait, Joe Pernice n’est pas du genre à sacrifier la qualité sur l’autel de la productivité. Perfectionniste et convaincu des vertus du temps long, le musicien américain ne publie des disques que lorsqu’il a acquis la certitude que ceux-ci participeront à la cohérence générale de son oeuvre. Neuf longues années séparent ainsi Spread The Feeling de la précédente réalisation des Pernice Brothers, Goodbye, Killer. Un nouvel album avait bien été enregistré et mixé il y a quelques années mais son auteur, insatisfait de la teneur des compositions qu’il rassemblait, avait choisi de ne pas en conserver le résultat final. Quelques titres issus de cette première tentative infructueuse ont été sauvés, puis retravaillés avec l’ingénieur du son Liam Jaeger, pour finir par apparaître aux côtés de nouveaux titres sur ce septième long player tant attendu.

Nous ne saurons jamais si cette copie définitive dépasse véritablement le brouillon avorté mais dès « Mint Condition », qui ouvre le bal sur un riff power pop, c’est avec un plaisir certain que nous retrouvons tout le savoir-faire de l’homme des Scud Mountain Boys, de Chappaquiddick Skyline et des New Mendicants (projet formé avec Norman Blake de Teenage Fanclub et Mike Belitsky des Sadies). Entouré de son habituelle garde rapprochée (James Walbourne, Patrick Berkery, Peyton Pinkerton, Bob Pernice et le Velvet Crush Ric Menck), soutenu par quelques invités triés sur le volet (Pete Yorn, Joshua Karp et Neko Case sur l’instantanément classique « The Devil And The Jinn »), le songwriter de Boston dégage une impression de facilité tout au long d’un disque qui renoue avec la fluidité et l’évidence des premiers Pernice Brothers, à l’époque bénie du triplé Overcome By Happiness / The World Won’t End / Yours, Mine & Ours. Qu’il s’éclaire à la lumière éternelle de Big Star et des Byrds (« Skinny Jeanne », « Eric Saw Colours »), qu’il expose son côté tendre (les ravissantes « Evidently So » et « Queen Of California ») ou qu’il s’offre un retour vers une adolescence que l’on imagine bercée par l’indie-pop britannique des 80’s (« Lullabye », « Throw Me The Lions »), le Joe Pernice version 2019 ne fait qu’une bouchée de la concurrence indie-pop.

***1/2


Emily Yacina: « Remember The Silver »

11 décembre 2019

Emily Yacina avait évolué dans l’ombre grâce à des collaborations prestigieuses dans le monde de l’indie rock américain. En l’espace de quelques sorties malheureusement passées inaperçues, la new-yorkaise a bâti sa réputation dans le monde du bedroom-pop américain. Et quelque chose me dit qu’elle va enfin sortir du lot avec son nouvel album nommé Remember The Silver.

La collaboratrice de (Sandy) Alex G décide d’ouvrir grand les portes de son jardin secret avec ce nouveau disque doux-amer. Il est question de blessures secrètes et de la quête d’un nouvel espoir tout au long de cet opus avec des titres à la frontière de l’indie folk et de la bedroom-pop comme l’introduction inommée « Only » mais aussi de « Stephanie » et de « Arcades & Highways ».

Produit aux côtés d’Eric Littman, Emily Yacina privilégie les arrangements somptueux et les mélodies cristallines qui ont de quoi rappeler Big Thief et Angel Olsen de la belle époque. Cela donne de mini-chefs d’œuvre incroyablement maîtrisés et riches en émotion à l’image de « Secret Drawer », « Bleachers » ou bien même de « Better Off ». Il ne manque plus qu’un « Talk Talk Talk » et « 96th Street » pour synthétiser ce Remember The Silver comme un moyen de se rappeler que derrière ces souvenirs abscons se cachent une beauté et une bénédiction. Pe serait-ce que pour cela, Emily Yacina méritera reconnaissance.

***1/2


Real Life Buildings: « Ohio and West »

11 décembre 2019

Dans le rayon des groupes qui se sont séparés récemment, on peut citer Real Life Buildings. Le groupe indie rock new-yorkais Matthew Van Asselt a décidé de tirer sa révérence avec un ultime disque doux-amer nommé Ohio and West.

Donnant suite à leur Significant Weather paru deux ans plus tôt, le supergroupe new-yorkais a multiplié les épreuves en peu de temps. Il a pourtant écidé de nous donner une bonne dose d’énergie et de fun condensé sur des titres à mi-chemin entre emo et indie rock comme le titre introductif nommé « Road Block » qui annonce la couleur.

Real Life Buildings célèbre la vie comme il s’en est fait le chantre à travers des morceaux énergiques mais empreints d’émotion allant de « Backwards Glance » à « Irony » en passant par « A Mark On The Wall », « Racing The Sun » et « 168 ». Matthew van Asselt et sa bande balancent la sauce jusqu’au dernier titre plus mélancolique intitulé « A Different End » sous forme d’adieu déchirant. Ce sera donc’est tout ce qu’on retiendra d’un combo dont la durée a, certes, été, courte mais dont la fougue, elle, restera bien constante.

***1/2


Quaker City Night Hawks: « QCNH »

11 décembre 2019

Pas de titre et juste leurs initiales, ce qui ressemble à un premier album carte de visite est en fait le quatrième opus des Quaker City Night Hawks, trio (Patrick Adams, bassiste et chanteur, ne fait plus officiellement parti du groupe) qui nous vient de la banlieue de Dallas au Texas. Un des coins du monde qui peut revendiquer être à l’origine du blues et donc du rock, deux styles qu’affectionnent particulièrement nos oiseaux de nuit qui livrent 10 titres écrits avec la chaleur du son des seventies, quelques notes d’instruments empruntés au jazz (saxophone, trompette), un bon vieux piano de saloon et quelques litres de whisky.

On a du cool, du très cool, de la chanson de feu de camp, du solo bien envoyé mais aussi un peu d’élan stoner (« Hunter’s moon », « Freedom ») qui font de cet album un ensemble cohérent et pas chiant pour deux sous même si les Américains n’inventent rien, leur americana version hard plus que folk vaut le détourpour réchauffer l’atmosphère en hiver ou diffuser une musique d’ambiance aux belles saisons.

**1/2


Anthony Phillips: « Strings Of Light »

11 décembre 2019

Anthony Phillips fait figure de référence chez les pionniers du rock progressif et pas seulement en tant que membre fondateur de Genesis. Depuis l’héroïque The Geese And The Ghost (1977) qui a inauguré de façon remarquable sa carrière solo, il a enchaîné les albums sans temps mort ni considérations de mode tout en restant fidèle à la même ligne directrice. La musique vue par Anthony Phillips peut se définir par légèreté, raffinement, ivresse et passion. Une musique qui touche l’âme, jouée par un artiste qui chérit au plus haut point les instruments qui lui donnent vie. Dans son impressionnante collection de titres, beaucoup sont le résultat d’une recherche très poussée de la note ultime qu’il reste encore à trouver. Certains vous diront que les compositions se ressemblent et n’offrent que peu de surprises. Il faut voir qu’ici tout est affaire de subtilité, de ressenti et de volonté d’aboutir à l’essentiel. Il n’est pas rare que les morceaux n’atteignent pas la minute et laissent parfois l’auditeur légèrement frustré voire désorienté. C’est une habitude à prendre en écoutant Anthony Phillips, une autre façon d’appréhender la perception musicale. Sa prolifique série Private Parts & Pieces notamment, est souvent construite à partir d’une succession de petites séquences au clavier ou à la guitare (ou les deux) qu’il faut assembler un peu à la manière d’une bande originale de film.

Le très attendu Strings Of Light débarque sept ans après Seventh Heaven (2012), une séduisante aventure symphonique coécrite avec le compositeur et producteur Andrew Skeet. L’emballage est sobre quoiqu’un peu tristounet (on est loin de la luxuriance de Peter Cross) et le double CD est accompagné d’un DVD pour la version audio en Surround 5.1. Strings Of Light est composé de 24 pièces entièrement dédiées à la guitare acoustique comme le fut le double album Field Day (2005), avec ses presque 1h30 de musique inventive et jamais ennuyeuse.

Sur cet album l’intensité émotionnelle varie souvent en fonction des climats tantôt légers, tantôt fougueux et en fonction des instruments utilisés. Alors, qu’en est-il de String Of Light qui reprend un peu la même recette et nous fait découvrir une belle collection de guitares hors du commun ? Dès les premières notes de « Jour De Fête », on retrouve la faculté d’Anthony à sortir des accords improbables servant à vêtir une délicate mélodie qui ferait la joie de n’importe quelle chanson ou de n’importe quel morceau de rock. Mais bon, il faut accepter la démarche de son auteur qui ne voit dans ses compositions qu’un procédé pour faire sonner (vivre) un instrument (ici une splendide Bell Cittern Paul Hathway) de la plus belle des façons. Dans ce contexte, l’instrument est roi et ne doit céder sa place à personne, même si on adorerait entendre la voix de Peter Gabriel ou de Phil Collins. Il ne faut pas céder à la frustration ou à la nostalgie, cela n’aurait pas de sens et puis Anthony Phillips est maintenant très loin des concepts à l’origine de Trespass ou de Geese And The Ghost. Comme pour les albums de musique classique (pas vraiment convaincants) de Tony Banks, String Of Light va faire ressurgir de lointains échos de la « genèse », et cela suffira à notre bonheur.

L’enregistrement précis de James Collins va fournir toute la clarté nécessaire pour faire sonner chaque guitare de la plus belle des façons. C’est le cas pour la 12 cordes Martin sur le cristallin et dynamique « Diamond Meadows », qu’on peut voir comme une référence lumineuse au titre de l’album. Les familiers d’Anthony Phillips savent qu’il utilise souvent des boucles mélodiques servant de charpente à de délicates variations. Sur ce second morceau, c’est flagrant et sans surprise mais bizarrement, c’est ce que l’on attend de lui. Pas le temps de souffler ni même de s’installer dans un environnement distinct, qu’on change aussitôt de décor avec le classique « Caprice In Three ». C’est sur une David Whiteman Classical qu’Anthony Phillips retrouve la rondeur et la douceur des cordes nylon pour ce titre qui nous renvoie au célèbre « Nocturne » de 1980 (Private Parts & Pieces II – Back To The Pavillon). Trois premiers morceaux, trois écritures qui résument assez bien l’approche du travail en solo de la guitare acoustique. Un début sans coup de théâtre qui va charmer à coup sûr les fans et peut-être donner aux autres l’envie d’aller plus loin. Il faut dire que la route est encore longue et qu’il convient de passer du temps avec cet album pour vraiment l’apprécier. La meilleure publicité serait de le présenter comme une lecture très poussée des nombreuses techniques possibles à la guitare. Cet instrument très populaire est ici glorifié et sorti des sentiers battus. Anthony nous exhibe une collection absolument dingue d’instruments qui vont prendre vie (et de quelle façon) sous ses doigts. Si vous êtes comme moi, un fervent admirateur de l’objet sous toutes ses déclinaisons, alors Strings Of Light peut vous séduire que vous connaissiez Anthony Phillips ou non.

Un double album et vingt quatre morceaux qui méritent notre attention mais qu’il serait éprouvant de détailler ici. La longue promenade que je découvre va malgré tout laisser des traces plus marquées que d’autres avant que le temps ne change parfois les premières impressions. Sur le premier CD, ce sont les intenses et ébouriffants « Winter Lights » et « Skies Crying » qui semblent sortir du lot, de par leur technicité et leur charge émotionnelle. Le premier joué sur une Larrivée et le second sur une Veillette Gryphon, deux très belles guitares 12 cordes de prestige qui mettent en valeur la virtuosité d’Anthony. Il y a aussi le très beau « Still Rain » à l’atmosphère contemplative et languissante qui s’ouvre à la manière des Gymnopédies d’Erik Satie. Et pourquoi ne pas retenir cet amusant et sautillant « Mouse Trip » qui vient proposer un bref instant récréatif bienvenu. Sur le deuxième CD, je relèverais « Andrean Explorer » et son approche progressive qui nous fait entrevoir les délicats arpèges d’« Entangled » de Genesis, puis « Sunset Riverbank », qui va réussir à nous fasciner avec son joli travail sur deux guitares (une Brook Tavy et une Fender Stratocaster). A coup sûr un des morceaux les plus accrocheur et les plus réussi de l’album. Je finirais en beauté avec « Life Story », un titre à l’écriture originale, légèrement orientale et joué admirablement sur une Francisco Simplicio Classical. Cette sélection est tout à fait personnelle et n’exprime aucune vérité. Il s’agit seulement d’un premier contact, positif certes, mais qui n’a certainement pas tout dévoilé. Strings Of Light fait partie de ces albums qui demandent bien sûr plusieurs rendez-vous pour bien faire connaissance.

****1/2


Isan: « Lamenting Machine »

11 décembre 2019

Ayant signé leur retour par l’excellent Glass Bird Movement, paru il y a trois ans, les Anglais d’Isan étaient restés assez discrets depuis. En cet automne 2019, ils reviennent avec un nouvel album et reprennent donc leur rythme habituel de trois ou quatre ans entre deux séquences d’actualité discographique et scénique. Restés, donc, sur le très bon souvenir du précédent album, on pouvait cependant redouter une certaine difficulté à rester aussi haut que ne l’est le duo sur l’échelle de l’electronica tendre et mélodique.

En toute hypothèse, les Britanniques savent toujours aussi bien mettre en place des atmosphères accueillantes, parcourues par des composantes assez minimales et joliment cotonneuses. Possiblement moins mélodiquement affirmé que certains de ses prédécesseurs, Lamenting Machine se fait également peu marqué au niveau rythmique, privilégiant, par conséquent, une approche globale passant par la mise en place d’une atmosphère soignée et raffinée. Assurément de bon niveau, le premier tiers des morceaux interprétés par Antony Ryan et Robin Saville laisse ainsi un peu sur sa faim, comme si le duo en conservait sous le pied, opérant un rien en roue libre.

Puis arrivent des pistes comme « Ichthyosaur », avec sa pulsation souterraine et sa montée en puissance progressive, « Strix Aluco » et les consonances aquatiques de ses rythmiques, Ephemeroptera et ses notes perlées ou encore « Calliscope » et son battement régulier façon coup de fouet électronique. Confirmations de l’impeccable savoir-faire et de l’impressionnante maîtrise technique d’Isan, ces morceaux dessinent, quand on appréhende l’album avec un pas de recul, une architecture très pensée, conduisant l’auditeur à pénétrer le disque au fur et à mesure, à se familiariser avec le registre pratiqué tout d’abord, avant de le travailler ensuite. Manière de revenir au point de départ, Lamenting Machine se clôture par le morceau-titre, aux reliefs assez traditionnels pour Isan, mais qui s’inscrit donc dans une forme de logique de boucle et referme un disque moins commun que ce que son début pouvait laisser supposer… et craindre.

***1/2


Cattle Decapitation: « Death Atlas »

11 décembre 2019

Tous coupables d’exister. De vivre et de respirer simplement. C’est comme ça qu’on se sent quand on écoute du Cattle Decapitation. Death Atlas sort plus de quatre ans après avoir lancé l’apocalyptique et merveilleux The Anthropocene Extinction, ce septième album des Californiens arrache tout sur son passage. Définitivement mélodique, mais vraiment pas plus doux pour autant, il est construit comme un bâtiment complexe aux structures très solides.

Le groupe y régurgite les différents malheurs créés par la race humaine, ainsi que les traces indélébiles et affreuses qu’elle laisse sur la Terre sacrifiée. « Regardez ce que vous avez fait. Quelle est l’excuse ultime de votre surconsommation? Pourquoi maltraitez-vous une autre race? On se dirige vers la sixième extinction de masse. On est des envahisseurs, des parasites! ». C’est le genre de propos que le groupe martèle dans ses paroles depuis 1996, et ce discours est on ne peut plus actuel.

Le concept de Cattle Decapitation est souvent d’inverser les rôles entre animaux et humains, et de mettre ces derniers dans des situations et lieux atroces, comme les tests sur les animaux ou les abattoirs. On ne peut rester indifférent devant les cicatrices géantes que le groupe pointe du doigt violemment, nous incitant à sortir de la torpeur ambiante.

Cattle Decapitation, c’est comme un professeur insistant et accusateur qui te met toutes tes erreurs dans la face. Un être évolué et sans merci qui te fait réaliser les torts que tu as infligés à la planète ou aux autres, en tant qu’élève qui a échoué lamentablement. Ça donne le goût de faire plus que de simplement recycler et composter…

Mais concentrons-nous sur cet opus pour l’instant. Death Atlas, enregistré et produit par Dave Otero au studio Flatline Audio, est enveloppé d’un artwork toutefois moins troublant que les prédécesseurs, créé par leur collaborateur de longue date Wes Benscoter. C’est aussi le premier album du groupe en tant que quintette. Un deuxième guitariste fait son apparition en tant que membre officiel: Belisario Dimuzio, qui a rejoint les rangs du groupe de façon non officielle en l’accompagnant lors des tournées. Un nouveau bassiste figure également sur cet opus, le Québécois Olivier Pinard (aussi membre de Cryptopsy), qui fait partie de la formation depuis l’année passée.

Sur le deuxième titre,  « The Geocide », on remarque déjà toute l’âme qui sort de la voix du chanteur Travis Ryan. Il superpose trois sortes de cris, parfois une voix plus chantée avec vibrato (dans « Absolute Destitute » par exemple), et même une voix plus « proche » et au centre, celle-ci est presque parlée. Il a fait énormément d’expérimentations et ça paraît qu’il a beaucoup travaillé avec sa voix, et ce, dans presque toutes les chansons.

Chose surprenante, Death Atlas possède une certaine direction un peu plus black métal à certains moments. On y trouve des mélodies qui sont revêtues de coloris sombres et maléfiques, où fleurissent des patterns vocaux découpés avec soin, dignes de Dani Filth, comme dans « Be Still Our Bleeding Hearts » ou « Vulturous ». Certains moments se rapprochent même presque du shoegaze, comme la chanson-titre placée à la toute fin, sorte de vague géante qui nettoie tout ce qui a été saccagé.

Les interludes inquiétants « The Great Dying I » et » The Great Dying II « rajoutent une petite pause dans cet album charnu, comme des gardiens de prison s’arrêtant un instant pour soupirer devant nos bêtises enfantines. Bref, Death Atlas nous somme de rester en punition dans le coin, et de réfléchir à nos actes immondes… Messages quelque peu assenés, reçus.

***1/2


Urschmerz: « Misery Plan »

11 décembre 2019

Ces sept titres d’Urschmerz (qui se traduit, comme il se doit, par Douleur Primale) nous ramènent aux fondements du genre industriel – bruit massif, attaque cinglante qui va au-delà même du black/death metal, explosion nucléaire torride qui non seulement menace de vous arracher la peau mais qui est sur le point de le faire. C’est à cela que ressemblerait l’Enfer ; massacre et guerre industrialisés, torture et haine institutionnalisées, douleur et agonie illimitées.

Le premier morceau, « Hate » ne se préoccupe pas des introductions, mais plutôt de la jugulaire sonique dès le départ. Des détonations granuleuses, des réacteurs à plein régime et une ligne de basse bouillonnante se posent sur vos genoux, puis s’agrippent à vos oreilles et refusent de lâcher prise. Le rythme est implacablement malveillant, ne se relâchant jamais jusqu’à ce que vous soyez submergé. C’est une guerre chaotique et totalement irrépressible. La deuxième plage, « People », s’empile sur la colère et l’agonie, ce qui nous alourdit de misanthropie noire, un souffle froid de vent pâle soufflant des profondeurs d’une fosse profonde, pour être suivi par une sorte de bête mécanique qui surgit rampant. Sa seule intention est la ruine, la décimation et l’anéantissement. Elle se nourrit de notre peur, de nos os écrasés et de notre chair déchirée, et se repaît du sang qui coule dans des ruisseaux jaillissant qutour de nous.

« Deny » sera cet autre assaut, sonduit par une basse granuleuse qui s’oppose à ce qui sonne comme une flûte solitaire, qui se transforme peu à peu en musique orchestrale et en chœurs, qui s’impose comme une solide vaguelors d’un grain de tempête, insistante et écrasante, destinée à écraser et à étouffer les derniers vestiges de la culture ou la bienséance. Il s’agit d’une armée, non pas de soldats, mais de la nature infernale qui nous jette tout son poids de solidité sismique et granitique. Il n’y a vraiment rien que nous puissions faire face à cette agression.

Vient ensuite la naissance, un gigantesque bourdonnement qui gronde et sur lequel sonnent des clochettes, encore une fois avec plus qu’une bouffée d’agitation chaotique, un portrait peut-être de ce que nous appelons la vie cancéreuse à laquelle nous nous accrochons tous si désespérément comme si elle avait un sens. La thèse telle que qu’on peut la lire est que la vie n’a pas de sens, qu’elle n’est en fait qu’une mer sans fin de souffrance et de dégradation : si elle a un sens, alors c’est sûrement que tout cela n’est qu’une blague de malade qui nous a joué des tours, et pourtant personne ne rit.

« Reject » s’inscrit dans une vague de tambours industriels et tribalistes à l’ancienne, un appel massif à tourner le dos à la vie que nous nous sommes créée pour nous-mêmes afin de nous convaincre que tout ce que nous faisons a un but. L’attaque de guitare se faufile dans et hors du rythme battant, ajoutant encore plus d’essence à un feu qui brûle depuis des temps immémoriaux. De plus, ce n’est pas le genre de conflagration que nous pouvons maîtriser de sitôt. « Life » suit rapidement, une détonation atomique du son et de la commotion cérébrale accompagnée d’un assaut de guitare de la taille d’un bataillon, pulvérisant et broyant le tout en poussière et en atomes. C’est à cela que ressemble la vie – un monstre qui veut écraser et piétiner, réduire chaque constituant en particules insignifiantes, réduire nos espoirs et nos rêves à néant, nous maudire de douleur et de chagrin, et se moquer de nous tout le temps. Une fois que tout s’est effondré et est devenu poussière, que reste-t-il ?

« Death » semble être la réponse d’Urschmerz. Si la vie est la question, alors la mort est peut-être la réponse, mais est-ce que cela résout quelque chose ? A en juger par les accords déformés et acides de la guitare d’Urschmerz, la réponse est probablement qu’elle sera plus ou moins la même, sauf sur un tout autre plan. La pression de la vie est apparemment accrue dans la mort, une existence sans lumière, sans air, qui subsume l’esprit humain et le soumet à encore plus de douleur et d’agonie qu’il n’a enduré dans la vie. Enfin, bien sûr, la chute de la plaisanterie a été révélée – la souffrance est suivie de près par d’autres souffrances jusqu’à ce que la substance de l’âme elle-même se dissolve dans la nuit éternelle du Rien.

Un album sombre donc, comme il se doit pour un ensemble de sept pièces délimitant la réalité de l’existence sombre qui est notre lot sur Terre. On ne peut nier les qualités inhérentes à ce communiqué : la puissance et le poids de l’argument, l’absence de tout ce qui ressemble de près ou de loin à la lumière (et par extension, l’espoir), l’inutilité totale de tout ce que nous faisons en tant qu’espèce pour nous faire sentir et apparaître importants. Il s’agit d’une vaste sommation de l’homo sapiens en tant qu’espèce, et en sept abattages, il détruit systématiquement toutes les prétentions. Cela dit, c’est un album magnifique dans son nihilisme transparent et absolument glorieux dans son rejet total des exploits et des triomphes que l’humanité a l’habitude de vanter, mais qui met à nu le vide au cœur de ses prémisses. Mieux encore, c’est la philosophie contenue dans son message caché :

Détester les gens, nier la naissance, rejeter la vie. Embrasser la mort. Pour coeurs, (ceux qui en ont) bien accrochés

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