Leonard Cohen a poussé son dernier souffle il y a trois ans, mais sa voix ne s’est pas éteinte. Son fils Adam lui avait promis de finir les chansons en chantier. Les voilà sur Thanks for the Dance, magnifique album habité par la présence unique de son illustre paternel.
Vous avez travaillé sur Thanks for the Dance sur plus de deux ans. Vous aviez besoin de prendre votre temps ?
J’ai mis des mois avant d’être prêt à retravailler avec mon père, à passer du temps en sa compagnie, à entendre sa voix, à étudier ses mots, à trouver le moyen d’accompagner sa voix avec des musiques dignes de lui et qui correspondraient à là où il était exactement à la fin de sa vie.
Pendant qu’on faisait You Want It Darker, un thème s’est présenté : la mort, l’idée de Dieu. Les chansons plus romantiques, plus sensuelles, ne convenaient pas à ce thème. On ne les a pas finies, mais pas parce qu’elles n’étaient pas bonnes. Comme il s’est éteint trois semaines après la sortie de You Want It Darker, il a pu voir la réaction à sa dernière œuvre. Alors, il m’a demandé de finir ce qu’on avait commencé…
Quand je me suis retrouvé dans mon petit studio, avec sa voix qui tonnait dans les haut-parleurs, je me suis retrouvé exactement là où j’étais pendant les 18 derniers mois de sa vie : en conversation avec lui. C’était douloureux et délicieux en même temps.
L’album commence par la phrase « I was always working, never called it art » et se termine sur « listen to the hummingbirds, don’t listen to me ». Comme un pied de nez au mythe pour mieux montrer l’homme derrière l’artiste…
On voulait construire une histoire, que le disque lui ressemble, que ce soit un voyage à travers le meilleur de Leonard Cohen. Comme quand Feist et Jennifer Warnes font des « la la la » sur Thanks for the Dance pour retrouver l’atmosphère de Dance Me to the End of Love. On a trouvé des mouvements, des accords, des accompagnements, pour le ramener à la vie, pour qu’on le sente de manière multidimensionnelle : son sens de l’humour, la sensualité de certains disques, les clins d’œil qu’on remarque si on connaît son œuvre.
Lorsqu’on entend les mots « album posthume », on a une réaction cynique. C’est souvent un geste opportuniste de la famille ou de la compagnie de disques. Ce sont souvent des fonds de tiroirs. Ce disque est tellement différent : on sent Leonard Cohen. Ce n’est pas Leonard Cohen à la fin de sa vie, mais au sommet de son art.
Ce qui ressortait, sur scène, c’était sa gratitude. Il semblait remercier le public de l’avoir accompagné, alors que ses chansons ont accompagné tant de gens…
Quand il enlevait son chapeau à la fin de chaque concert, il semblait surpris, et surtout reconnaissant, oui. Ce qui le touchait le plus, c’était de voir que les gens gardaient ses chansons en vie. C’est ce qu’on est en train de faire avec ce disque. C’est une promesse que je tiens, mais c’est aussi une responsabilité que je sens.
Et ce disque boucle la boucle de manière moins sombre que You Want It Darker, n’est-ce pas ?
Exactement. You Want It Darker, c’était comme se serrer la main, se regarder dans les yeux et se dire au revoir. Thanks for the Dance, c’est le même au revoir, mais en posant doucement la main sur l’épaule… C’est l’autre facette du même dernier geste.