My Life Story avait signé, dans les années 90, un opus mémorable, Mornington Crescent à une une période où la britpop avait le vent en poupe. Depuis, le groupe de Jake Shillingford a évolué dans un registre plus original où se mêlaient pop traditionnelle et musique de chambre et dans lequel la critique avait trouvé le chaînon manquant entre Blur et Divine Comedy, entre mélodicité et flamboyance.
Quelques albums plus tard, World Citizen, précédé par un « single » « Taking on The World » qui avait séduit se compose ou se décompose par une série de chansons pop proches de la perfection, uptempo, sentimentales et globalement emballantes comme le classique « No Filter » qui ouvre le bal. Le ton est un brin nostalgique mais l’outrance contenue et l’émotion omniprésente. Ces retrouvailles sont belles, précises et parfaitement contrôlées. Ce qu’est tout autant le très beau « Broken » avec son attaque acoustique implacable et la voix de Shillingford en grande forme.
Les textes sont à l’encan ; posant la question de la confiance, de la sincérité, les grands sentiments qui nous éloignent d’un quotidien dont la côté prosaïques est considéré comme banal voire vulgaire.
Pour s’éloigner de la facilité que procure le côté « cheap » qu’aurait une démarche pop stricto sensu, le groupe a enregistré l’album avec un orchestre entier de plus de 40 pièces à Budapest et… via skype. Ce son naturel est un atout majeur pour le disque qui bénéficie d’une production ample et à la hauteur des ambitions toujours démesurées de Shillingford.
Le leader du groupe n’a rien perdu de son sens mélodique et de sa capacité à nouer des motifs pénétrants. « Sent From Heaven » est une chanson magnifique, simple et efficace avec cette retenue qui contrebalance les effets ampoulés et, dela même manière, « The Rose The Sun », transformera une chanson en apesanteur de façon subtile, élégante et poétique.
On ne trouvera ici rien de fondamentalement audacieux ou de transcendant là-dedans mais une sincérité totale et une justesse dans l’émotion et une foi absolue dans le pouvoir de la pop qui font souvent frissonner. Shillingford a toujours été pleinement engagé dans cette pop sans double fond, à la fois naïve et complètement démodée, mais aussi immédiatement séduisante et fédératrice.
World Citizen profite du charme de la redécouverte pour s’imposer comme quelque chose de paradoxalement nouveau et… qui ne se pratique plus guère de nos jours. C’est beau, grandiose même, brillant à bien des égards. Shillingford joue la proximité jusqu’au bout en faisant le crooner désolé et pastoral sur « A Country With No Coastline », avant de délivrer une stupéfiante et hypnotique performance sur le magnifique final, « Overwinter ». Loin de sa caricature, le groupe enchante une dernière fois avec un titre sombre et sobre qui évoque la fin d’une relation d’une façon bouleversante. Ce morceau suffit à lui tout seul à justifier l’écoute de ce disque du retour.
World Citizen est un album glorieux et l’une des plus belles sorties du néant qu’on ait vue depuis quelques années. On ne sait pas s’il donnera lieu à autre chose mais retrouver My Life Story après tout ce temps interroge sur ce qui est moderne et ce qui ne l’est pas, sur la valeur des musiques conservatrices par rapport aux prétendues nouveautés qui nous agitent d’ordinaire. On peut sûrement être d’hier et d’aujourd’hui avec la même innocence et la même intensité, et y trouver son compte. World Citizen prouve qu’on peut voyager dans le temps pour le plaisir.
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