Jusqu’à la sortie de cet album, les Pretty Things véhiculaient une image soigneusement entretenue, à savoir être plus sauvages que les Stones au niveau du look, et pratiquer une musique puisant aux même racines que celles du dit groupe, le rhytm and blues. Ces derniers s’en étaient quelque peu extraits avec Their Satanic Majesties Request (leur opus psychédélique), SF Sorrow allait prendre à contre-pied les tenants d’une pop-rock héritière de la tradition musicale noire. Emotions, leur précédent album, avait montré qu’ils étaient déjà légèrement avant-gardistes, les Pretty Things allaient enfoncer le clou de façon plus singulière encore. Soniquement déjà le volume semble être délaissé au profit d’une plus grande amplitude. Des instruments poussés au maximum, ne va demeurer qu’une basse souvent boostée en avant comme pour apporter une assise à l’atmopshère du disque. Celle-ci est présente un curieux (pour l’époque) amalgame entre tradition folk (guitares semi-acoustiques, harmonies vocales assez appuyées) et approches rythmiques originales mélangeant énergie et finesse. Les mélodies restent directes et relativement simples, approche pop oblige, mais les nuances s’opèrent par l’utilisation de cordes et de cuivres ainsi que par le développement de procédés électro-acoustiques déjà mis en place auparavant par les Beatles ou le Pink Floyd. Qu’est-ce qui va permettre alors à SF Sorrow de figurer parmi les albums qu’il convient de posséder? Sans doute, à l’origine, parce qu’il se veut le premier opéra rock. L’est-il vraiment? Si on le compare à Tommy qui a gardé l’approche du dialogue chanté, il ne peut être mis sur le même plan que l’oeuvre des Who. Il est néanmoins le tout premier disque à raconter une histoire, celle du personnage qui donne son nom à l’album, une sorte d’Anglais moyen très peu éloignée du Arthur des Kinks. Formellement cela se traduit par des passages narratifs intercalés sur la pochette entre les textes des morceaux et qui visent à donner un semblant de cohérence à l’ensemble.Celles-ci sont d’ailleurs bienvenues tant SF Sorrow démontre que les Pretty Things n’ont pas une qualité, celle d’être de vrais dramaturges ni de réels auteurs. De ce point de vue, chaque morceau reste intrinsèquement individuel ne s’étayant alors que sur ses propres idiosyncrasies pour s’extérioriser.On l’a vu auparavant, l’amalgame entre éléments traditionnels et procédés contemporains crée une atmopshère unique, celle-ci est se caractérise par étrangeté qui fait parfois froid dans le dos. « Baron Saturday », « Ballon Burning », « Death » ou « Private Sorrow » cohabitent ainsi fort judicieusement avec des refrains plus aérés comme « SF Sorrow Is Born » ou « I See You » ou tout bonnement des ballades folk comme « Loneliest Person ». Les Pretty Things ne délaissent pas pour autant une approche encore plus convaincante dans sa volonté novatrice avec un « Bracelet Of Fingers » qui juxtapose à merveille mélopée hypnotique et arrangements psychédéliques. Quelque part, le groupe semble alors réussir là où Their Satanic Majesties avait quelque peu failli, à savoir faire coïncider harmonieusement un restant de racines « bluesy » aux tonalités de l’époque, la psychedelia. On peut souligner la hargne de « Baron Saturday » à qui les tordes tordues qui l’accompagnent procurent une aura encore plus menaçante, la splndeur éthérée et cosmique de « She Says Godd Morning » et son final bredouillant et titubant ou « Private Sorrow » et son mélange de rythmes martiaux et de « breaks » excentriques. Au total, SF Sorrow ne mérite certainement pas l’indifférence qui l’a accueilli, ni peut-être l’excès d’éloges auxquels il a droit aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins sans doute le meilleur album des Pretty Things (avec le suivant, Parachute); il est aussi le témoignage d’une période transitoire qui allait nous faire voyager vers d’autres rivages musicaux. Assez curieusement, alors que certains « classiques » sonnent datés de nos jours, il a su conserver une fraîcheur qui transcende les limites de sa prise de son. Sans doute parce qu’il n’a pas cherché à trop s’en affranchir mais plutôt à l’épouser, vraisemblablement aussi parce qu’il se voulait ambitieux mais pas tarabiscoté, accessible et non complaisant. A ce titre il reste un témoignage presque parfait de cet âge d’or psychédélique. A défaut d »être un « classsique » SF Sorrow est un album exemplaire; c’est cela qui lui confère son statut d’oeuvre mythique.