Le troisième album de ce musicien suédois, I Know What Love Is Not été enregistrée sur une période de trois ans, dans plusieurs studios et sur des continents différents. Néanmoins, il sonne comme s’il était le résultat d’une session unique tant il apparait comme concentré et homogène. Ça rend la chose d’autant plus remarquable car c’est, en outre, le premier disque où il a, la plupart du temps, choisi de s’accompagner de musiciens au lieu d’être construit autour de ses propres « samples ».
Notons tout de suite avec quelle aisance Lekman se révèle apte à endosser ce rôle et à travailler de cette façon. Il mêle les instruments ensemble comme le ferait un peintre et obtient ainsi une toile de fond où les performances de chacun, surtout celles des instrumentistes à cordes, résonnent avec profondeur et chaleur émotionnelle.
Ce type d’interprétation cadre toute à fait avec des textes où, quelque part, le chanteur semble avoir eu le cœur brisée en mille morceaux. Le titre de l’album est, déjà en soi, un indicateur du fait que chaque chanson de l’album tourne autour du chagrin d’amour, ceci tout en douceur avec une voix comme décalée tant elle semble faire preuve d’esprit et de sagesse.
De ce point de vue, le vocaliste est parvenu là plupart du temps à conserver les choses sur un versant éclairé tout en maintenant une base très mélancolique. La musique, elle aussi, dément le sujet déchirant des propos et diffuse agréablement une sensation de liberté et d’ouverture, comme un vent soufflant en légère brise permanente au milieu de la lumière.
S’inspirant cette fois du « soft-rock » qu’il étaie l’occasion par une saxo solo, des titres comme « Become Someone Else’s » ou « Erica America » évoquent une ambiance détendue, boisée semblable à celle véhiculée par des groupes comme América ou des chanteuses façon Carole King.
Les arrangements sont pleines et riches, et Lekman sonne comme s’il était chez lui entouré de pianos, dans une ambiance favorisant les harmonies vocales.
Sur d’autres morceaux (la chanson-titre, « The End of the World Is Bigger Than Love », « The World Moves On ») le rythme est plus léger, presque heureux, atmosphère plus traditionnelle chez Lekman, capable de noyer chagrin et tristesse sous une nuée de glockenspiel, de flûtes ou de battements de mains.
On trouve aussii une forte influence Prefab Sprout / Aztec Camera traversant l’album, comme en témoignent les changements d’accords délicats et vifs aux guitares acoustiques sur « Some Dandruff on Your Shoulder », ou la résonnance sophistiquée de la ballade dévastatrice « She Just Don’t Want to Be with You Anymore ».
Quel que soit le style que vise Lekman, il se montre capable de ne pas manquer sa cible. Nous avons affaire à un créateur au mieux de sa forme ; capable de transmettre émotions et humour d’une façon véridique sur des titres constamment accrocheurs. On sent chez lui qu’il se dégage d’une certaine désinvolture qui lui faisait égrainer ses chansons de loufoqueries presque incongrues, et qu’il aborde plus ses compositions avec l’optique d’un artisan en passe de devenir chevronné au milieu de sections à cordes, et de mélodies puissantes.
Jens Lekman a peut-être eu le cœur brisé, cela lui a été utile pour distiller une pop intelligemment conçue, punchy et d’une assez belle qualité.