On savait que Bill Ryder-Jones avait plusieurs cordes à sa guitare puisqu’il avait quitté The Coral pour se consacrer à d’autres activités musicales, en particulier des musiques de films. Surprise pourtant quand on a entendu If, son premier opus solo, dix plages quasi instrumentales et surtout basées sur la musique classique sous toutes ses formes. La raison? ‘illustration de roman « post-moderne » d’Italo Calvino, Si Par Une Nuit d’Hiver Un Voyageur. Que dire si ce n’est qu’à partir d’un ouvrage déconstruit et alambiqué, multipliant l’exploration de différents genres littéraires par le fil de multiples intrigues, Ryder-Jones est parvenu à édifier parcourant toutes les nuances du classique, du symphonisme à une musique plus moderne. Sa volonté de s’expliquer sur les germes de sa singulière création et sur les sources de l’inspiration apportera, en outre, un enrichissement instructif qui ne gâtera pas l’écoute renouvelée du disque.
La première impression qui vient à l’esprit à propos ce disque sur roman de Calvino est qu’il s’agit presque de la bande-son d’un livre
C’est un roman assez particulier au niveau de la narration, de l’intrigue: comment avez-vous procédé pour prendre en compte cet éclatement?
Ça n’est pas ça qui a été le plus compliqué. J’ai un peu fait abstraction de cette structure assez spéciale, les chapitres qui sont en fait illustrés ne sont pas ceux dans lequel le narrateur est impliqué et où Italo Calvino joue avec lui dans son roman. Donc tout ce qui a trait à ce lecteur à la recherche d’un livre qui n’est plus imprimé et qui, à chaque fois, tombe sur un autre roman n’est pas pris en compte. J’ai écrit en fonction du premier chapitre de chaque nouveau roman qui se faisait jour ce qui me semblait donner un sens à l’entreprise.
Vous avez un peu, vous aussi, joué avec les structures conventionnelles. (Rires)
Je suppose qu’on peut voir les choses ainsi même si tricher n’était pas mon intention. Ce qui m’a poussé à choisir ce roman est que, justement, il est composé de dix autres en son intérieur et que je puisse devenir le protagoniste de mon propre album à des degrés toujours différents. J’écris, c’est moi mais, en même temps, ça n’est pas moi; je suis un personnage au même titre que les autres.
Par rapport à une bande son c’est toujours un peu difficile à expliquer. Je n’ai pas été laborieux dans ma recherche d’idées. Il m’a tout de suite semblé évident qu’un chapitre assez grandiose avait besoin d’une tonalité symphonique, qu’un autre, plus direct, nécessitait une approche plus dynamique et qu’un chapitre plus dramatique se devait d’être solemnel et introspectif. « Enlace », par exemple, est la pierre angulaire du disque. Dans le livre c’est un chapitre très anxiogène et il me semblait évident se suivre ce schéma. Plus il m’a fallu penser au fait que c’était un album et non pas 10 titres de musique classique. C’était assez bizarre car je me forçais à ne pas prendre en compte le déroulé du roman mais, ce faisant, je me suis trouvé dans la nécessité de suivre son agencement. Ainsi j’ai senti l’obligation d’écrire « Le Grand Désordre » après avoir composé les morceaux correspondants aux chapitres qui le précédaient. Pour moi c’était juste de la musique mais il y avait tout ce côté conceptuel dans lequel je tombais. D’un côté je m’en moquais mais de l’autre il y avait quand même cette idée préconçue: fatalement ça a altéré mon mode de composition.
C’est un fait que je marmonne souvent quand je parle et que je sais que je ne suis pas un vocaliste. Je trouvais juste que le morceau avait besoin de quelques mots qui narraient l’histoire contenue dans le chapitre. Il s’agissait d’un personnage souhaitant quitter une vie criminelle, puis qui tue une jeune fille et essaie de se débarrasser du cadavre. Les textes sont assez évidents mais j’ai voulu les enrober d’une aura de roman policier par ma diction. Donc vous avez, dans ce discours indistinct, un parallèle avec de ce personnage essayant de s’extraire de l’embarras dans lequel il s’est mis. Ça n’est donc pas que du charabia. (Rires)
C’est une manière assez élégante de le dire (Rires). Beaucoup m’en ont fait part. J’ai même dit à un journaliste du Guardian voilà quelques semaines que si j’y avais vraiment réfléchi, je m’en serais débarrassé. Je suis assez ambivalent; j’aime bien ce passage mais je trouve juste qu’il est un peu stupide là où il est. Je n’avais pas encore mis mon côté « guitariste » an avant et je crois que ce passage n’en avait pas besoin.«
C’est un titre qui se veut très sombre. J’aime beaucoup ce titre. C’était la seule composition écrite avant que je ne sache que je faisais cet album. C’était un vieil instrumental nomme « The Flowers ». J’en ai changé l’orchestration car c’était un morceau basé sur la guitare acoustique avec des vocaux féminins très éthérés. Dans le ivre, le chapitre est censé se dérouler dans un pays d’Europe de l’Est en pleine récession. Les gens grouillent dans la rue car ils n’ont nulle part où aller. L’idée derrière cette composition est que vous entendez partiellement un musique émanant d’une église à côté de laquelle vous passez et, qu’en même temps, il s’agit également d’une scène de sexe entre 3 personnes. Je trouvais que les percussions rythmaient très bien cette image de gens marchant sans but et je voulais que cette voix féminine soit très évocatrice car, dans le livre, il y a ce personnage énormément amoureux d’une femme qui es moins impliquée dans la relation que lui et, de toute évidence, il y a cette apogée qui est censée faire référence à la scène de sexe. Vous savez, il est difficile de savoir d’où surgit l’inspiration; vous y pensez subliminalement et, avant de vous en apercevoir, le concept est totalement formé et il y a peu que vous pouvez en dire après. Vous avez raison de dire qu’il y a une volonté de montrer les choses de façon sinistre mais il y a aussi le besoin d’évoquer le désir, la pulsion à l’état brut.
Qui d’autre écoutiez-vous?
Le plus souvent du classique, ma seule constante depuis plusieurs années était les Arctic Monkeys. (Rires) J’écoute aussi assez fréquemment quelqu’un comme Michael Galasso ou la musique de In The Mood For Love une B.O. que j’adore tout comme celle du Parrain. Quand j’ai commencé à commencé à composer pour cet album, moi et ma copine étions plus inspirés par ma musique européenne qu’autre chose. Nous sommes allés à Paris pendant deux ou trois jours pour prendre comme des vacances avant que je ne commence If… et l’impact que ça a eu autant d’effet que ce que j’écoutais précédemment. Ce morceau « The Reader (Malbork) » m’est venu alors que je déambulais dans les rues de Paris.
Je l’ai fini en décembre 2010 voyez-vous. J’avais tellement planché sur les arrangements à cordes que je me suis senti si vidé que j’ai passé un Noël extatique, sans rien analyser. Vers mars, comme je n’avais plus rien à faire je suis tombé en dépression. La musique est une libération pour beaucoup de gens mais, malheureusement, vous devez la gérer d’une manière différent quand il s’agit de votre boulot. Avec la libération vient aussi la pression et vous vous prenez la tête en vous disant que vous devez faire aussi bien. C’est pour cela qu’il est très rare que j’éprouve cette sensation de libération. Je suis constamment en train de me dire que je dois respecter certains standards. Je travaille sur un film en ce moment et j’en ai au moins pour quatre mois. C’est un énorme projet et j’ai eu plus d’un an pour l’écrire. Vous avez toujours cette exigence et jamais vous ne pouvez déconnecter comme on fermerait un commutateur. Je me réveille souvent à 5 heures du matin et me mets à gamberger sir mes arrangements. C’est un boulot formidable, j’ai la chance de l’exercer et jamais je ne voudrais en changer et je comprends très bien qu’on a pas envie d’entendre les états d’âme de quelqu’un qui se fait payer pour composer de la musique. Je suis sûr que la même expérience, libération puis pression, se reproduira quand j’aurai terminé cette musique de film. (Rires)