Comme toute sphère médiatique, la mouvance « indie » a, de temps à autre, besoin de se trouver une sorte d’élément fédérateur qui captera une attention qui dépassera son cadre et atteindra le « grand public ».
Ce rôle semble aujourd’hui dévolu à Grizzly Bear, combo expérimental installé à Brooklyn et dirigé par Edward Droste et le multi-instrumentaliste Christopher Bear. Son nouvel album, Shields, qui s’attire ainsi les louanges d’une presse protéiforme, intervient après un hiatus de trois ans qayant suivi l’ambitieux Veckatimest qui avait vu le groupe collaborer avec le compositeur et chef d’orchestre classique Nico Muhly, la vocaliste de Beach House Victoria LeGrand, the Acme String Quartet et le Brooklyn Youth Choir.
Par rapport à une barre qu’il avait placée très haut, Shields ne marquera pas un approfondissement de sa démarche initiale, on pourrait presque avancer qu’il se dirige vers une instrumentation plus traditionnelle, même si la structure des compositions reste cérébrale. Grizzly Bear a opté pour cela vers des climats beaucoup plus dépouillés, voire éthérés, dont la base est, dans sa grande partie acoustique. « Sleeping Ute » par exemple voit le groupe construire un morceau de façon répétitive sur lequel, peu à peu, les guitares partagent le premier plan avec des discrètes envolées de synthétiseurs. Comme sur tout l’album d’ailleurs, et si l’on fait abstraction de titres qui restent majoritairement concis, on ne peut qu’oser un apparentement avec les premiers albums de Yes tant la voix diaphane de Dorste n’est pas sans évoquer celle de Jon Anderson. Mêmes climats douceureux, presque alanguis qui font qu’il y a quelque chose d’ironique à se rendre compte de la façon cyclique dont la pop/rock semble fonctionner, comme si certaines influences, sans doute inconnues de Grizzly Bear, se faisaient jour sur un mode subliminal.
Même discrets, les arrangements restent alambiqués (qui des cuivres, qui des cordes, qui des effluves électroniques) comme s’il était question d’offrir, enfin !, une respiration aux compositions. Cela s’exemplifie sur « Speak In Rounds » un presque « rocker » dans lequel le contrepoint achevant le titre (bruissement de cuivres et flutes) remplacerait un solo de guitare ; cela se confirme sur un « A Simple Answer » tendu et immédiat dont le titre semble être la réponse appropriée à une question.
C’est celle-ci qui semble jalonner Shields: comment concilier beauté harmonique (« Half Gate ») et simplicité ou compositions parfois trop bichonnées (« Gun-Shy ») avec atmosphères plus inquiétantes (« What’s Wrong ? ») ? « Sun in your Eyes », longue épopée, s’emploiera à clôturer l’album sur une note de sérénité comme pour apporter une réponse.
Est-ce la façon la plus conséquente de le faire ? On ne peut qu’être partagé tant les morceaux les plus éloquents sont, ici, les plus directs et tant on ne peut que craindre de voir poindre dans cette affectation instrumentale une contenance quelque peu gratuite, celle-là même qui avait stérilisé, en d’autres temps, le rock progressif…